Présentation du livre de JOUSSET-COUTURIER Béatrice , « Le Transhumanisme. Faut-il avoir peur de l’avenir ? », Eyrolles, 2016.
Ce bref ouvrage, préfacé par Luc Ferry, se veut une introduction à la question transhumaniste, en forme de balayage de son histoire, de ses courants, des questions philosophiques et prospectives soulevées, et des oppositions suscitées. Contrairement à de nombreux ouvrages directement ou indirectement consacrés au sujet, il ne s’agit donc pas d’un livre à thèse, pro ou contra, ni d’une étude centrée sur un aspect particulier (la mort, l’eugénisme ou encore la robotisation).
Il occupe donc une place encore largement vacante, notamment pour le grand public, à qui l’auteur s’adresse (dans un style parfois exagérément infantilisant). Il s’expose de la sorte au risque de dire trop vite sur beaucoup. Ces ornières sont d’abord évitées dans la présentation synoptique qui est faite, dans la première des trois parties, des définitions historiques et conceptuelles du courant transhumaniste, compris globalement comme « mouvement philosophique et scientifique qui veut utiliser tous les moyens […] pour améliorer l’espèce humaine […] et en finalité faire naître le posthumanisme » (p. 11). Les éclairages historiques sur la genèse du mouvement de pensée seront utiles à ceux qui ne se penchent sur la question transhumaniste qu’à l’aune de l’actualité et des enjeux des NBIC (technologies nano, bio, de l’information et cognitives).
Selon ce point de départ, la généalogie aboutit naturellement à accorder une place de choix à la doctrine de la Singularité popularisée par Ray Kurzweil, qui est bien entendu l’un des auteurs les plus cités, aux côtés de Laurent Alexandre et Pierre Teilhard de Chardin. Point essentiel de la propédeutique à l’étude du transhumanisme, la notion de « singularité » fait l’objet d’une présentation très rapide (sept pages), peut-être insuffisamment clarifiée conceptuellement (l’introduction des définitions courante, cosmologique et topologique du terme, non exploitées, n’y aide pas). L’articulation de la loi de Moore avec l’idée d’un basculement vers une intelligence dominante « non anthropomorphique », p. 59) n’est pas véritablement analysée ni explicitée. La définition reste suspendue, par le jeu d’une accumulation de citations peu commentées, entre l’idée d’un point de bascule et celui d’une future ère posthumaine à envisager (mais qui, par définition, échappe aux schémas prédictifs traditionnels).
Les discussions épistémologiques autour de la « loi de Moore » elle-même, ne sont pas abordées du tout, ce qui laisse le lecteur aux prises avec l’idée inexacte que le caractère exponentiel des capacités computationnelles et de stockage de l’information, recélerait la perspective mécanique d’un changement d’ère technologique et humaine [1]. Enfin, l’absence d’explication sur le caractère ambigu du statut épistémique de la loi en question (qui n’est ni une conjecture mathématique, ni une variété de constante physique), et l’identification à sa version vulgarisée dont l’obsolescence pourrait être proche, n’en facilite pas l’appréhension.
Le début de la deuxième partie, consacrée à la pensée transhumaniste, confirme ces réserves en brossant une histoire à gros traits des rapports entretenus par l’humanité entre science, économie et pouvoir depuis le Néandertal. Ce passage est librement inspiré de la Brève histoire de l’avenir de Jacques Attali [2], qui n’évite pas les raccourcis historiques et philosophiques coutumiers de ce dernier, et tend à en ajouter. Cette partie aurait sans doute gagné à être une histoire des limites symboliques et techniques de l’humanité pensées comme telles, pour mieux s’articuler avec les chapitres suivants, consacrés aux critiques du transhumanisme et aux débats d’actualité le traversant vis-à-vis du politique et du religieux.
Ces pages, plus claires et informées, donnent la parole à une quantité appréciable de points de vue, notamment ceux de Jacques Ellul et Jean-Claude Guillebaud, et exposent sans atténuations leurs critiques de la technique comme sphère autonome, et du rejet du corps humain comme rejet de l’humanité avec sa finitude. De façon générale, les grandes questions éthiques et démocratiques et les confrontations avec les religions de la question de la « mort de la mort » sont efficacement introduites et prennent soin de laisser chacun libre de la poursuite de son opinion. Le débat entre Jürgen Habermas et Peter Sloterdijk est utilement convoqué. L’auteur apporte un constat lucide sur la pression présente et future de la norme sociale (p. 92), à l’exemple du rapport ambivalent de nos sociétés à l’eugénisme (p. 96, 156). Elle ne résout pas en revanche la contradiction du caractère intrinsèquement neutre ou porteur de valeurs d’une technologie donnée, penchant tantôt pour une hypothèse (p. 117), tantôt pour l’autre (p. 148).
On regrettera qu’il manque à ce tour d’horizon les réflexions importantes de Dominique Lecourt [3] (et sa défense d’un eugénisme humaniste notamment), Alain Supiot [4] (pour l’indispensable anthropologie des limites de l’humain et la critique du technoscientisme) ou Lucien Sfez [5] (pour la critique des valeurs implicites de « l’utopie » transhumaniste).
Il s’agit en définitive d’un livre qui a le mérite de la nouveauté en son genre, mais dont la démarche synoptique ne servira aux demandeurs d’une introduction au sujet qu’à condition d’enrichir leur lecture par l’approfondissement de certaines définitions, et des investigations complémentaires. À défaut d’offrir des outils consistants pour une réflexion prospective (sur l’économie ou le droit des technologies futures notamment), il représentera une porte d’entrée au courant d’idées pour un large public.
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